le 14 juin 2020
Le prêt de main-d’oeuvre : une digue contre le chômage ?

Tribune initialement publiée dans Les Echos le 14 juin 2020.

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En deux mois d’une crise dévastatrice pour l’emploi, 12,9 millions de personnes ont bénéficié du dispositif d’activité partielle, soit plus d’un salarié du secteur privé sur deux. Ce dispositif, très efficace pour préserver l’emploi, est aussi très onéreux pour les finances de l’Etat. Cette « nationalisation des salaires » a déjà coûté près de 26 milliards d’euros à l’Etat. Logiquement, celui-ci passe en revue son arsenal juridique pour trouver des solutions autres, susceptibles de prendre le relais. Parmi ces dispositifs, le prêt de main-d’oeuvre entre entreprises revient sur le devant de la scène.

Accompagnement personnalisé

Plutôt que de placer ses salariés en activité partielle, une entreprise en difficulté peut proposer à l’une de ses consoeurs en manque de ressources de les accueillir. L’entreprise « prêteuse » conserve le salarié dans ses effectifs, la société accueillante trouve rapidement une main-d’oeuvre compétente et disponible, et le salarié bénéficie du maintien de l’intégralité de son salaire. Le mécanisme est remarquable de vertu. Oui mais voilà, le prêt de main-d’oeuvre n’est pas une nouveauté. Encadrée depuis 2008 dans le Code du travail, son utilisation par les entreprises est restée, jusqu’à présent, très confidentielle car elle nécessite une réelle organisation.

Le gouvernement souhaite assouplir les conditions de sa mise en pratique. Mais la mobilité d’un salarié d’une entreprise à une autre n’est pas qu’un acte juridique, c’est aussi le résultat d’un accompagnement personnalisé.

Freins psychologiques

Le dispositif de prêt de main-d’oeuvre peut assurément être un levier efficace pour lutter contre le chômage, à condition de prendre en compte les contraintes des entreprises et des salariés concernés. Disons-le sans détour : la mise à disposition temporaire de collaborateurs n’est pas toujours la panacée. Elle présuppose l’existence, dans un bassin d’emploi, d’une densité suffisante d’entreprises dont les besoins en compétences sont raisonnablement homogènes et dont l’activité a diversement subi les répercussions de la crise.

À ce préalable s’ajoutent des freins psychologiques. Un salarié volontaire pour prêter main-forte acceptera difficilement de se déplacer à plus de 25 kilomètres de son lieu d’habitation. Derrière deux intitulés de postes en apparence similaires peuvent se cacher des réalités très différentes. Le niveau d’exigence, le secteur d’activité, la matière travaillée, les horaires, ou encore des cultures d’entreprise divergentes sont autant de motifs de déstabilisation des salariés, et donc d’échec potentiel du prêt de main-d’oeuvre. A cela s’ajoute le contexte anxiogène du Covid-19, pouvant pousser certains à préférer l’activité partielle à une reprise d’activité dans des conditions d’hygiène et de sécurité perçues, à tort ou à raison, comme insuffisantes. Comment leur en vouloir ?

Règle du volontariat

Je suis néanmoins convaincu de la pertinence du prêt de personnel pour limiter l’impact de la crise sur l’emploi, à condition de construire un dispositif sur mesure. Cette approche, nous l’avons mise en oeuvre avec HR consultancy partners, notre cabinet de conseil en ressources humaines. Depuis 2019, nos équipes coordonnent et animent Agil’Agro, un dispositif de prêt de main-d’oeuvre entre entreprises de l’agroalimentaire dans le Finistère. Quatorze entreprises sont membres de ce collectif, ce qui nous a permis d’identifier les ressorts indispensables au succès d’une mise à disposition de collaborateurs.

La volonté des entreprises et la motivation des collaborateurs sont indispensables, mais pas suffisantes. Les salariés doivent bénéficier d’un diagnostic d’employabilité préalable destiné à identifier leurs compétences transférables. Côté entreprise, l’étude de poste et le diagnostic RH permettent notamment de s’assurer des conditions d’accueil, d’intégration et de sécurité. Le prêt de main-d’oeuvre fonctionne sur la base du volontariat. Il est le fruit d’une rencontre et, quelque part, d’un processus de séduction. Mais cet attrait réciproque ne doit pas laisser de place à l’aléatoire.

Frank Ribuot

Président du groupe Randstad France.