le 5 avril 2018
Vaincre le paradoxe de l’emploi

L’ambitieuse  réforme de la formation professionnelle sonnera-t-elle le glas du paradoxe de l’emploi en France ? Notre pays compte trois millions de chômeurs, et pourtant, chaque jour, des milliers d ‘entreprises peinent à recruter les compétences qui leur permettraient de se développer. L’ampleur de ce phénomène se chiffrerait à hauteur de 150.000 postes.  Des postes qui ne trouvent pas preneur faute de candidats – les fameux métiers en tension.

Or ces métiers représentent bien souvent des goulets d’étranglement : s’ils ne sont pas occupés, les entreprises ne tournent plus. Comment faire face à cette problématique ? A mes yeux, trois mesures permettraient d’apporter une réponse concrète.

Former et valoriser

La première consiste à s’inspirer des bonnes pratiques étrangères. En Allemagne, Randstad a noué un partenariat avec un géant de la machine-outil. Les clients de cette entreprise n’achètent désormais plus seulement une machine-outil, mais une prestation qui comprend le recrutement et la formation du technicien en charge de la machine.

La deuxième mesure renvoie à l’image des métiers techniques. Réputés difficiles et mal rémunérés, ils souffrent d’une image dégradée qui ne correspond en rien à la réalité. En cause, une méconnaissance qui s’explique surtout par l’absence de valorisation. La solution ? Montrer la réalité telle qu’elle est !

Charge à l’ensemble des industriels et des experts de l’emploi d’expliquer que les métiers techniques, souvent manuels, exigent des savoir-faire pointus et extrêmement divers. Il faut apprendre aux jeunes qu’un chaudronnier peut tout aussi bien réaliser les cuves en Inox dans lesquelles sont entreposés les grands crus que forger les ailes du Rafale.

Il s’agit aussi de donner aux jeunes, au collège ou au lycée, les informations indispensables pour leur permettre de s’orienter en toute connaissance de cause. Combien de parents rêvent de voir leur enfant travailler à l’usine ? Peu probablement. Ils le seront sans doute davantage lorsque l’Education nationale mettra à disposition, filière par filière, les données relatives au taux d’insertion dans l’emploi, au salaire d’embauche ainsi qu’à la nature des emplois. L’industrie n’aura alors certainement pas à rougir de la comparaison.

Renationaliser et libéraliser la formation

La troisième et dernière mesure porte sur la formation, le nerf de la guerre pour résoudre la problématique des métiers en tension. Je vois deux manières d’y parvenir.

Il s’agit d’une part de « renationaliser » tout un pan de la formation initiale liée aux métiers techniques. L’Education nationale doit de nouveau former les jeunes à ces métiers, en appui sur un référentiel de compétences et des normes de savoir communes, qu’elle seule peut garantir. C’est ainsi que nous pourrons lutter contre la déshérence de certaines compétences techniques. Or ces compétences s’acquièrent aujourd’hui par le seul biais de formations que les entreprises paient à des centres privés, gérés par les fédérations professionnelles qu’elles financent avec leurs cotisations. Les entreprises paient donc deux fois. Inutile et coûteux !

L’autre changement consiste à « libéraliser » la formation professionnelle. Les contraintes administratives pesant sur le CPF – pour être remboursée, une formation suivie dans le cadre du CPF doit être certifiante ou qualifiante – constituent un frein dans l’acquisition de certaines compétences clés. Un exemple : alors que l’impression 3D existe depuis bientôt cinq ou six ans, il n’existe toujours pas de titre professionnel portant sur cette technologie. Impossible, du coup, d’utiliser son CPF pour se former à l’impression 3D, pourtant déjà utilisée par les entreprises industrielles.

Faire preuve d’agilité et de flexibilité est donc indispensable. Le big bang annoncé de la formation professionnelle en prend le chemin avec audace.


Tribune initialement publiée dans le quotidien Les Echos

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0301511178403-vaincre-le-paradoxe-de-lemploi-2166351.php