le 2 septembre 2021
L’entreprise à mission de la Loi Pacte : bonne ou mauvaise idée ?
Danone, la Camif ou plus récemment La Poste… Au total, comme elles, plus de 150 entreprises ont opté pour le statut d’entreprise à mission. Chacune avec une raison d’être et des engagements sociétaux et environnementaux différents, mais toutes avec pour objectif d’influer sur le monde de demain. Mais ce statut, défini par la Loi Pacte en 2019, reste-t-il une bonne idée ?

Deux experts, Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises à l’‎IAE Clermont Auvergne et auteur de La Raison d’être de l’entreprise (Presses universitaires Blaise Pascal) et Philippe Silberzahn, professeur à EMLYON Business School, reviennent sur ce modèle.

Oui – Ce modèle peut constituer une vraie force de transformation – Bertrand Valiorgue 

La période de crise que traverse le monde force les dirigeants des entreprises à s’interroger sur leurs fondamentaux. « La période leur fait faire un questionnement à 360 degrés sur ce qui fait la raison d’être de l’entreprise et comment elle participe à la société ou à un territoire durablement »

Dans ce modèle d’entreprise à mission, la raison d’être d’une entreprise et ses objectifs représentent des atouts non négligeables, selon l’expert : « En endossant le modèle d’entreprise à mission, les entreprises affichent une raison d’être qui fait la différence par rapport à la concurrence et attire les talents. Opter pour un modèle d’entreprise à mission permet à certaines entreprises de se trouver une nouvelle raison d’être face par exemple aux dérèglements climatiques ou lorsque le secteur d’activité possède un avenir limité. Lorsque le patron de Total dit qu’il veut devenir leader des énergies vertes, il ne peut plus faire machine arrière ensuite. Sa raison d’être est plus large ».

Pour Bertrand Valiorgue, le comité de mission peut représenter une réelle force pour l’entreprise. « Il peut vraiment bousculer les dirigeants et va les aider à se poser les bonnes questions et éventuellement apporter des pistes de réponse. Ce comité peut développer l’intelligence sociale et environnementale »

Le Professeur note néanmoins que les entreprises doivent mettre en place « un vrai dispositif d’accompagnement au changement au risque d’être confronté à une vraie résistance à la fois des actionnaires, mais également des salariés. De même, il faut avoir conscience que ce dispositif peut constituer une vraie force de transformation, comme ne servir à rien s’il n’est utilisé que comme un argument de communication et de marque employeur »

Non – En finir avec la dichotomie entre l’économique et le sociétal 

Le concept de mission en entreprise, très ancien en stratégie, « a pris un tour différent avec la Loi Pacte, assure Philippe Silberzahn. L’idée est alors d’aller au-delà de la mission économique pour avoir un impact sociétal et environnemental »

Selon le Professeur, l’idée même d’entreprise à mission « est fondamentalement viciée et repose sur un modèle mental biaisé. Comme si l’économique et le sociétal n’ont rien à voir, comme si une entreprise ne peut contribuer à la société qu’à travers autre chose que l’économique. Or, une entreprise qui existe, qui gagne de l’argent, qui embauche, qui fait travailler des centaines ou milliers de personnes, contribue de fait à la société. Dans ce modèle mental, l’économie est moralement inférieure. Cette opposition destructrice conduit à la perte de l’ensemble des acteurs ».  

Pour Philippe Silberzahn, certaines entreprises tentent par le biais de ce dispositif de se « racheter une image ou d’inventer un masque à plaquer sur leur réputation ». Au lieu de voir l’entreprise à mission sous ce biais, il conseille « aux entreprises privées très attaquées sur l’environnement ou sur l’aspect financier de repartir de l’intérieur, de leurs fondamentaux pour éclaircir leur mission intrinsèque et identifier leur singularité. Car toute entreprise remplit de fait une mission »

Les entreprises n’ont pas forcément besoin d’un nouveau statut, mais simplement d’être sincère et de s’interroger profondément sur le rôle qu’elles ont dans la société. Il faut essayer de faire partager une autre approche de la mission de l’entreprise. 

L’exacerbation de cette dichotomie entre les « méchants » capitalistes et les « gentils » sociaux risque d’aboutir à des réactions en chaîne comme celles du dossier Danone. Elle montre bien que les entreprises risquent de souffrir de ce modèle que d’en profiter.