le 12 avril 2021
Pour une entreprise post-Covid bienveillante

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Depuis un an maintenant, les Français vivent au rythme du confinement et de ses différentes déclinaisons. Cette organisation sociale, aussi restrictive que brutalement imposée par une situation sanitaire totalement inédite, était initialement prévue pour durer 15 jours. Le couvre-feu, les protocoles sanitaires et les restrictions de déplacements se sont imposés dans nos vies au gré de la maîtrise ou de la virulence retrouvée de l’épidémie.

Depuis un an, le marché de l’emploi est percuté de plein fouet par la COVID 19 et avec lui l’organisation des entreprises et du travail. La présence physique, comme base du fonctionnement des entreprises, n’est plus nécessairement la règle sous l’effet combiné de l’adoption à marche forcée du travail à distance et de l’activité partielle de plus ou moins longue durée. En janvier 2021, on dénombrait encore 2,1 millions de personnes en chômage partiel, soit 11 % des salariés du privé. Un quart des salariés étaient concernés par le télétravail, au moins un jour par semaine.

Si 2021 devrait marquer une forme de « retour à la normale », grâce à la généralisation de la vaccination et à une culture plus ancrée des protocoles sanitaires en entreprise, une nouvelle organisation du travail devra nécessairement émerger de cette crise.

Le fantasme de l’entreprise dématérialisée, caractérisée par l’adoption généralisée du travail à distance, semble avoir vécu. La vie professionnelle est une expérience sociale essentielle que la visioconférence ne permet pas totalement de reproduire. Néanmoins, et lorsque c’est possible, les salariés ont pris goût au télétravail et son adoption, quelques jours par semaine, s’imposera comme une tendance de fond à l’avenir.

La gestion de la distanciation a été le principal défi de l’année écoulée. La régénération du sentiment d’appartenance chez des collaborateurs éprouvés par l’isolement sera celui de 2021 et des années à venir. C’est là que se situe la véritable révolution du travail. Dans ce contexte, un rouage essentiel de cette organisation contrainte s’est imposé : le manager de proximité.

Du jour au lendemain, le management par le seul prisme de la performance individuelle s’est révélé inadapté. La distanciation physique des équipes a progressivement permis l’émergence du manager empathique. Le travail à distance impose de passer d’une logique de contrôle, encore trop inscrite dans le cerveau reptilien des entreprises, à un management par la confiance. Avec la distance, les collaborateurs se sont adaptés et ont découvert une nouvelle forme d’autonomie dans la gestion de leurs tâches. Le management doit accompagner cette nouvelle réalité.

Si cette transition s’est faite souvent dans la douleur et de manière imparfaite, la crise aura au moins eu une vertu : celle d’accélérer la transition des entreprises vers une organisation plus flexible, qui replace l’individu au centre en encourageant la prise d’initiative et la responsabilisation de chacun. Cette nouvelle organisation, moins verticale, doit perdurer.

Mais ce changement de paradigme ne se fera pas naturellement. Durant le premier confinement, en mars 2020, les managers de proximité ont appris à repenser le rapport à leurs équipes du jour au lendemain, tout en faisant face à leur propre isolement.

Il faudra conserver les bonnes pratiques issues de ces organisations spontanées, les structurer, mais aussi inventer de nouvelles approches pour créer de l’émulation au sein de collectifs hybrides, entre distanciel et présentiel.

Ce que la crise a mis en évidence, c’est qu’une partie des tâches sont individuelles et peuvent être réalisées sans supervision. Pour celles-ci, la présence physique sur le lieu de travail n’est pas nécessaire. En revanche, le temps de présence dans l’entreprise doit être repensé. Il doit être un vrai moment d’échanges et de co-construction, une occasion de prendre de la hauteur pour laisser s’exprimer l’intelligence collective au service de l’innovation.

Le dialogue plus nourri qui naîtra entre le manager et ses équipes sera porteur d’un triple avantage. Les collaborateurs seront responsabilisés et deviendront de véritables acteurs de la destinée de l’entreprise. Cette nouvelle approche permettra de réinsuffler une valeur éprouvée par la crise : le sens du travail et le sens au travail. Pour les collaborateurs placés en activité partielle, il permettra de recréer le sentiment d’appartenance mis à rude épreuve par la période. Et c’est toute l’entreprise qui en bénéficiera. En laissant plus de place à l’expérience de terrain et en encourageant ses managers à développer leur intelligence émotionnelle, l’entreprise leur offre un contenu de poste plus stimulant et optimise leur performance.

L’enjeu n’est pas anodin. Les entreprises qui réussiront à prendre ce virage organisationnel, à l’inscrire dans leur projet, seront demain les plus performantes. Mieux, elles seront en mesure d’attirer les meilleurs talents qui aspireront à s’épanouir dans un environnement bienveillant.

La crise a bouleversé notre rapport au travail. Elle a été génératrice de souffrances, en témoignent les conséquences psychologiques engendrées par le manque de contact physique. Il ne faut pas les sous-estimer. Mais elle doit être l’occasion d’insuffler une nouvelle vision de l’entreprise, plus humaine, plus soucieuse de ses talents. 

Elle est l’occasion de démontrer que la qualité de vie au travail doit être un moteur de performance.

Frank Ribuot

Président du groupe Randstad France.

Tribune publiée dans Les Echos le 8 avril 2021.