le 18 avril 2024
(re)donner du sens au travail

Le sujet n’a jamais été aussi prégnant, comme le montre l’étude Workmonitor 2024 : la quête de sens et d’épanouissement est devenue une préoccupation cruciale pour les travailleurs, devant le besoin de faire carrière ou de gagner plus d’argent. Un an après le rapport des Assises du Travail, des responsables du monde de l’entreprise et de la sphère publique ont accepté de poursuivre la réflexion et de partager leurs convictions lors d’une matinée de conférence-débat, le 4 avril 2024, organisée par le groupe Randstad en partenariat avec le Medef de l’Est Parisien, Top Employers France, l’ANDRH et la communauté “Les entreprises s’engagent”.

François Moreau, secrétaire général du groupe Randstad France, l’a souligné dans son introduction : pour la première fois dans l’histoire du Workmonitor, une enquête menée depuis 21 ans par Randstad au niveau mondial, les aspirations des travailleurs se tournent vers la qualité de vie au travail et la flexibilité plutôt que la rémunération. 57% des Français seraient même prêts à quitter un emploi ne leur offrant pas un bon équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Comment la société peut-elle répondre à ces attentes ?

Du point de vue de Randstad, le sujet impose d’abord de relever trois défis. Le premier : créer un marché de l’emploi plus inclusif. Si la France s’approche du plein emploi, trois populations en sont encore trop éloignées : les jeunes, avec 1,5 million de « NEET » qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation ; les personnes en situation de handicap, avec un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne ; et les seniors, dont le taux d’emploi reste 5,5 points en dessous de la moyenne de l’Union européenne.  

Ensuite, permettre de se projeter dans un avenir professionnel : au niveau de l’entreprise, grâce à des parcours d’évolution de compétences adaptés, mais aussi au niveau collectif, grâce à des dispositifs de transition professionnelle qu’il faudrait simplifier. Et enfin, faire progresser la santé et la sécurité au travail, à l’heure où l’on compte davantage d’arrêts de travail pour cause de maladie psychique que pour cause de maladie physique.

 

Frédéric ferrer, journaliste, et François Moreau, secrétaire général du groupe Randstad France

 

Des actions à l’agenda gouvernemental

Au cours de son intervention, Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, a balayé le large champ des actions pour lesquelles le Gouvernement s’engage aux côtés des entreprises et des partenaires sociaux. Elle a d’abord tenu à rappeler que le travail demeure un « levier irremplaçable d’émancipation », facteur de création de richesse et de lien social : « D’après toutes les études, les Français sont heureux au travail ! » Et ils veulent l’être plus encore, travailler mieux et améliorer l’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Il faut donc y répondre, car il y a là, pour les entreprises, un enjeu d’attractivité, de fidélisation et de productivité des salariés.

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Et cela commence dès le plus jeune âge, au moment des décisions d’orientation des futurs talents : « Parmi les NEET, on trouve des jeunes formés à des  métiers ne les intéressent pas ! D’où l’importance de l’information, de la connaissance des métiers quand on est jeune. Accueillir les jeunes dans l’entreprise, c’est leur ouvrir le monde des possibles. »

À l’autre bout du spectre, l’emploi des seniors représente également un enjeu majeur, puisque seuls 33% des 60-64 ans sont en emploi. La part de plus en plus forte de seniors dans la population française dans les années à venir invite par ailleurs à « interroger notre modèle ». « Le dialogue social à tous les niveaux joue un rôle clé pour trouver des solutions adaptées », a affirmé la ministre, qui a avancé plusieurs pistes de travail : le bilan de mi-carrière pour maintenir l’employabilité, l’aménagement du temps de travail en fin de carrière, le CDI de fin de carrière, l’amélioration du compte personnel de formation (CPF) ou encore le très débattu compte épargne temps universel (CETU), qui permettrait de stocker des congés payés afin de pouvoir les utiliser ultérieurement, y compris dans une autre entreprise.

Parallèlement, la ministre souhaite faire vivre le débat sur le travail. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) doit ainsi prochainement rendre son rapport sur les organisations alternatives et innovantes du travail. Catherine Vautrin a par ailleurs annoncé la mise en place d’une « COP Travail » autour de sujets tels que l’organisation des temps et l’impact des évolutions sociétales sur le travail : « Nous devons absolument nous pencher ensemble, avec les partenaires sociaux, sur ces sujets avant l’été. »

La rémunération reste un élément non négligeable de satisfaction au travail : le Gouvernement avait annoncé, lors de la conférence sociale d’octobre 2023, la mise en place d’un Haut Conseil des rémunérations, de l’emploi et de la productivité, pour travailler sur le lien entre productivité, création de valeur et salaires. C’est chose faite depuis l’installation, le 28 mars 2024, de cette nouvelle instance qui participe à l’objectif de « désmicardisation du pays, un enjeu pour toute une partie de la population qui a un sentiment de déclassement ». Sur le partage de la valeur aussi, Catherine Vautrin affirme qu’il faudra « aller plus loin ».

Avant de conclure, la ministre a rendu hommage aux entreprises qui s’engagent pour l’emploi des personnes en situation de handicap et rappelé qu’il restait des avancées à réaliser sur le sujet de l’égalité femme/homme, que ce soit en termes de salaire ou d’évolution professionnelle.

 

Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités

 

Regards croisés sur un besoin de considération

La matinée s’est poursuivie par un débat entre Marylise Léon, Secrétaire générale de la CFDT, et Patrick Martin, Président du Medef. Quand la première insiste sur la place moins centrale que le travail a prise dans la vie de chacun depuis la crise sanitaire, le second remarque que les indicateurs du désengagement concernent surtout les jeunes : beaucoup d’entre eux imaginent en effet changer de poste ou d’employeur dans l’année qui vient, d’où un véritable risque en termes de coût de turnover et de désorganisation pour les entreprises. 

🢂 Retrouver le débat en Marylise Léon et Patrick Martin cliquant ici.

L’un et l’autre s’accordent pourtant sur la nécessité d’une meilleure considération des travailleurs : par une revalorisation du travail et une évolution des comportements managériaux, pour Patrick Martin ; et pour Marylise Léon, par le juste partage de la valeur, la mise en lumière du « travail réel », des « espaces d’expression » permettant aux salariés de parler de ce qu’ils vivent et une meilleure organisation du travail. 

Face aux transformations en cours, au premier rang desquelles la transition écologique et le développement de l’intelligence artificielle, il est du devoir du dirigeant d’en comprendre les enjeux et les conséquences pour éclairer l’avenir des salariés, explique le patron des patrons. Et, à défaut de pouvoir mesurer vraiment leurs impacts sur le marché de l’emploi – les études étant souvent contradictoires –, de travailler sur la qualité des transitions en trouvant un chemin qui sécurise les salariés, précise Marylise Léon.

Patrick Martin l’affirme : les pays les plus efficaces sur le plan social et économique sont ceux qui disposent du meilleur système de formation. La France doit donc en faire la « pierre angulaire » de sa réussite et le Medef est « surmobilisé » pour mener à bien la réforme des lycées professionnels. Une formation qui doit se poursuivre tout au long de la vie professionnelle, Marylise Léon appelant à « mettre les compétences au cœur des politiques RH » pour permettre « à chacun d’être acteur de son projet professionnel ».

« Je ne crois pas un instant à une déconsidération de principe pour le travail, qui reste une source de prospérité individuelle et collective, a conclu Patrick Martin. Mais il nous faut revoir certains comportements managériaux pour mieux embarquer nos salariés et les satisfaire à tous égards. » Pour Marylise Léon aussi, le travail a un avenir, « à condition de partir du travail réel » et de prendre en compte une « centralité différente », qui impose désormais aux organisations un rapport au travail « innovant et créatif ».

 

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, et Patrick Martin, président du Medef

 

Trois entreprises à l’épreuve du sens

Les grandes transformations des entreprises ne peuvent réussir que si ces dernières parviennent à embarquer l’ensemble de leurs collaborateurs. C’est ce qu’a illustré la table ronde de la matinée autour des exemples d’Airbus, Sanofi et Stellantis

🢂 Retrouver la table ronde entre Thierry Baril, Audrey Derveloy, Pierre Ramain, et Xavier Chéreau en cliquant ici.

C’est une fusion d’une taille inédite dans le monde de l’automobile, réalisée en pleine pandémie, qui a donné naissance à Stellantis. Avec 250 000 collaborateurs sur la planète, 170 nationalités différentes et plusieurs marques iconiques, créer un collectif relève du défi ! Le premier acte a été de travailler sur le sens, la vision et les valeurs associées, pour fonder un « socle commun », a expliqué Xavier Chéreau, directeur des ressources humaines et de la transformation de Stellantis. « nous avons ensuite travaillé sur un code de conduite. » Un autre facteur de succès a été de « casser les silos » en positionnant l’immobilier et l’IT – leviers incontournables des nouvelles organisations hybrides du travail – dans le giron de la direction des ressources humaines et de la transformation. 

Souder le collectif, c’est aussi rassembler les collaborateurs autour d’un projet commun : en l’occurrence, l’objectif de neutralité carbone de Stellantis à l’horizon 2038. « Nous formons 100% des collaborateurs à l’électrique pour que chacun comprenne sa contribution à cet objectif. »

Avec 10 000 embauches en 2023, Stellantis doit aussi être capable de rester connectée au terrain pour comprendre l’évolution des attentes de ses collaborateurs. Elle interroge les nouvelles recrues pour savoir ce qui les a attirées  et réalise deux enquêtes annuelles auprès de l’ensemble des salariés pour mesurer leur motivation et leur bien-être au travail. Ces indicateurs sont suivis au plus haut niveau de l’entreprise.

La création de Stellantis a aussi été l’occasion de repenser le partage de la valeur autour d’un impératif :  l’équité de traitement pour tous, dans tous les pays. « L’actionnariat salarié a très bien fonctionné, preuve d’un sentiment d’appartenance et d’une confiance réelle », indique Xavier Chéreau.

Airbus, entreprise de  150 000 salariés, a eu un autre défi à relever : comment entretenir la flamme des salariés dans un contexte de transition écologique ? La période du Covid a été l’occasion pour l’entreprise de mener une réflexion sur sa mission, a expliqué Thierry Baril, chief HR & Workplace Officer d’Airbus. Depuis, l’entreprise a renoué avec la croissance et cultive sa raison d’être : « Rester des pionniers pour une industrie aéronautique durable et un monde sûr et uni ».

Attirer est une chose, retenir en est une autre : « Mon obsession quotidienne de DRH est de donner envie d’avoir envie. De générer les conditions de l’enthousiasme, qui génère à son tour l’engagement », a indiqué Thierry Baril. La clé ? Permettre à chacun de comprendre le sens de sa contribution. Et pour cela, Airbus travaille à tous les niveaux du management. Comme chez Stellantis, le niveau d’engagement des salariés est régulièrement mesuré, tout comme la satisfaction vis-à-vis de son environnement de travail physique, managérial et digital – un indicateur majeur pour une entreprise industrielle qui doit, par nature, veiller à ce que ses collaborateurs travaillent le plus souvent sur site.

La fidélisation est un enjeu d’autant plus important qu’Airbus investit beaucoup dans la formation. La rétribution de l’engagement comprend un accord d’intéressement basé sur la performance économique mais aussi sur la performance sociale et humaine ; un plan d’actionnariat couronné par un prix d’innovation et un volet santé et prévoyance. Un bilan social individualisé est distribué aux collaborateurs chaque année et permet de rendre visible cette reconnaissance de l’entreprise vis-à-vis de ses collaborateurs.

La communication interne, c’est l’un des leviers majeurs activé par Sanofi pour donner du sens à l’engagement de ses 20 000 collaborateurs en France. Car une raison d’être aussi forte que « Poursuivre les miracles de la science et changer la vie des gens » ne suffit pas toujours à garantir que chacun voit, au quotidien, le lien entre sa contribution et le projet de l’entreprise.

Dès lors, comment maintenir la motivation qui a tendance à fluctuer au gré des succès et des échecs ? En fédérant aussi les collaborateurs à travers l’engagement de l’entreprise sur des sujets sociétaux, a expliqué Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France, citant plusieurs programmes : « Cancer et Travail », pour permettre aux personnes malades et à leurs managers de mieux vivre cette épreuve, avec des collaborateurs formés à l’écoute active ; « Place d’Avenir », un programme mêlant coaching, networking et job dating, pour lutter contre l’autocensure des jeunes et les accompagner vers l’emploi (1 600 places ouvertes chaque année) ; ou encore, dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, dont Sanofi est partenaire Premium, la mobilisation de 2 000 collaborateurs volontaires du monde entier. 

Face à la diversité des actions pour redonner du sens au travail, Pierre Ramain, directeur général du Travail au ministère du Travail, a rappelé l’importance du dialogue social de proximité et le fait que le nombre d’accords d’entreprise a été multiplié par deux depuis 2015, notamment dans les TPE-PME. « Nous avons un rôle d’observation des évolutions de la négociation collective mais aussi d’acteur dans l’impulsion du droit, notamment au niveau des branches », a précisé Pierre Ramain. En 2022, la moitié des accords de branche ont porté sur la question des salaires. 

 

Thierry Baril, chief HR & Workplace Officer d’Airbus, Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France, et Pierre Ramain, directeur général du Travail au ministère du Travail

 

Re-considérer le travail

Pour conclure cette matinée de témoignages et de réflexion, Jean-Dominique Senard, président du Conseil d’administration de Renault Group, et Sophie Thiery, présidente de la Commission Travail Emploi du CESE, ont rappelé les 4 axes du rapport « Re-considérer le travail », qu’ils ont remis au gouvernement en avril 2023 à l’issue des Assises du Travail :

🢂 Retrouver la conclusion de Jean-Dominique Senard et Sophie Thiery en cliquant ici.

  • Gagner la bataille de la confiance par une révolution des pratiques managériales et en associant davantage les travailleurs ;
  • Adapter les organisations du travail, favoriser les équilibres des temps de vie et accompagner les transitions pour les travailleurs ;
  • Assurer aux travailleurs des droits effectifs et portables tout au long de leur parcours professionnel ;
  • Préserver la santé physique et mentale des travailleurs, un enjeu de performance et de responsabilité pour les organisations.

 

« Le rapport a relancé un grand débat sur le travail et il y a eu des suites », s’est réjouie Sylvie Thiery, rappelant que l’organisation d’une COP Travail était la première des 17 préconisations du rapport. Pour Jean-Dominique Senard, « on ne peut se passer ni du sens collectif, ni du sens individuel ». Les deux rapporteurs invitent à articuler dialogue social et dialogue professionnel, qui se complètent et s’alimentent. Ils appellent aussi à un « changement de mentalité » des dirigeants et managers, pour davantage d’écoute, de reconnaissance, de respect et d’autonomie des équipes. « L’entreprise responsabilisante prend du temps mais elle transforme la vie ! »

 

Sophie Thiery, présidente de la Commission Travail Emploi du CESE, et Jean-Dominique Senard, président du Conseil d’administration de Renault Group

 

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