le 22 juin 2022
Attirer, recruter et fidéliser les talents : osez sortir du cadre !

Alors que les tensions sur le marché de l’emploi n’ont jamais été aussi fortes et que l’inflation pèse sur les rémunérations, les entreprises font face à un défi stratégique : pour assurer leur développement, elles doivent non seulement attirer et recruter de nouveaux collaborateurs, mais aussi fidéliser leurs talents. Comment s’adaptent-elles à cette nouvelle donne ? Le 2 juin dernier, chefs d’entreprises et experts ont partagé leur expérience devant une centaine de DRH et dirigeants de la région lyonnaise, lors d’une conférence-débat organisée par Randstad, en partenariat avec Le Journal des Entreprises.

Les difficultés de recrutement concernent aujourd’hui les entreprises de toutes tailles, de tous territoires et de tous secteurs d’activité. Les raisons à cela ? Pour François Moreau, secrétaire général du Groupe Randstad France, qui introduisait la conférence-débat, elles sont au nombre de 4 :

  • l’inflation qui, renchérissant le prix du carburant, dissuade encore plus la mobilité ;
  • les nouvelles aspirations dans le travail, notamment chez les jeunes, révélées par la crise sanitaire ;
  • l’inadéquation entre les formations des demandeurs d’emploi et les postes proposés ;
  • et bien souvent aussi, un manque d’information sur les offres disponibles.

C’est ainsi que dans la région Auvergne Rhône-Alpes, qui affiche 6,4% de chômage (un point de moins que la moyenne nationale) et peut se targuer qu’un de ses départements, le Cantal, ait le taux de chômage le plus bas de France (3,9%), 63% des entreprises connaissent actuellement des difficultés de recrutement, contre 34% en 2016[1]. Et cela, sur un marché de l’emploi très dynamique, puisque 360 000 recrutements sont prévus cette année, soit 50% de plus qu’en 2016.

Pénurie de talents d’un côté, importants besoins de recrutements de l’autre : pour résoudre la quadrature du cercle, certaines entreprises n’hésitent pas à sortir du cadre.

 

Sourcing : jouez la complémentarité des canaux

« Les talents ne viennent plus à nous, il faut aller les chercher », constate Johanna Berthier, directrice des ressources humaines chez Visiativ. La société, spécialisée dans la transformation digitale des entreprises, a pourvu depuis janvier 100 des 200 postes qu’elle a ouverts, dont plus de 40 en alternance, sur tous types de profils : commerciaux, consultants, chefs de projet, développeurs… « Les retours d’annonces sont très faibles (9% environ) et la chasse sur les réseaux est donc notre quotidien. »

Même constat chez Randstad, qui recrute chaque année en France, pour ses clients, 350 000 intérimaires et 7 000 CDD/CDI : « Nous avons dû repenser nos process de recrutement, ouvrir nos chakras », explique Gaëtan Deffrennes, directeur général de Randstad. Facebook, Instagram et TikTok ont ainsi pris une importance qu’on n’aurait pas imaginée il y a seulement deux ans : « Nous avons recruté 4 000 personnes en un mois, uniquement via TikTok, pour une entreprise de logistique à Metz. »

Pour sourcer des candidats, deux grands canaux complémentaires s’imposent : le digital, qui touche aujourd’hui tout le monde et sans lequel il est impossible de toucher les plus jeunes, et le physique – aller voir les gens, aller à leur rencontre sur le terrain, dans une approche classique (salons professionnels, forums…) ou via des initiatives plus originales, comme un bus itinérant.

Les employeurs ont également intérêt à faire de leurs collaborateurs des promoteurs de leur projet d’entreprise, afin de pouvoir compter sur la cooptation, un levier efficace de recrutement : elle représente 20% des postes pourvus chez Visiativ et est aussi largement utilisée chez Troops, start-up lyonnaise qui développe un logiciel de gestion RH pour les entreprises de travail temporaire. Avec des collaborateurs basés « un peu partout dans le monde », la cooptation permet de s’ouvrir beaucoup de réseaux, explique Émilie Legoff, PDG de Troops et présidente de la French Tech Lyon Saint-Étienne.

 

Le recrutement inclusif : tout le monde y gagne

Ouvrir un réseau à ceux qui n’en ont pas, c’est l’ambition de LinkedOut, un acteur de l’économie sociale et solidaire qui accompagne des personnes en situation de précarité dans le but de les réinsérer dans la société et dans le monde du travail. « 2,7 millions de personnes sont très éloignées de l’emploi et ont du mal à en retrouver, faute de réseau, explique Amandine Milcent, directrice de LinkedOut. Nous voulons rendre visibles ces invisibles. Être une passerelle entre le monde l’entreprise et le monde de la précarité. » Concrètement, LinkedOut propose à tout un chacun de diffuser, sur son propre réseau professionnel, des CV de personnes accompagnées par l’association, parrainée par l’Institut Randstad. Une action utile pour ces personnes, bien sûr, mais aussi pour les entreprises soucieuses de développer le recrutement inclusif.

Car pour elles, c’est un défi : beaucoup ne savent pas comment sourcer des personnes éloignées de l’emploi ni comment accompagner leur intégration. C’est aussi le rôle de LinkedOut, présent à toutes les étapes du process de recrutement. « L’entreprise y gagne en marque employeur, souligne Amandine Milcent. Beaucoup de DRH viennent me voir en disant : on veut développer la résilience, l’accueil de la différence dans notre culture d’entreprise, mais ça reste très théorique. Lorsque vous intégrez une personne très différente, qui a vécu un parcours de migration ou qui sort de l’aide sociale à l’enfance, vous montrez concrètement à vos collaborateurs ce qu’est accueillir la différence au sein de l’entreprise. » Cela resonne aussi avec la quête de sens exprimée par des profils plus classiques : une telle démarche vient donc « nourrir la culture en interne mais aussi le rayonnement externe de l’entreprise ».

 

Recruter différemment

Alors, faut-il ne plus s’intéresser aux CV pour trouver de nouveaux collaborateurs ? Il paraît indispensable, en tout cas, d’être prêt à recruter différemment. À aller chercher des comportements, des personnalités. Et parfois, oui, à « oublier les CV et accepter de former, en partenariat avec nos clients et Pôle emploi », précise Gaëtan Deffrennes.

Depuis plus de dix ans déjà, Pôle emploi utilise la méthode de recrutement par simulation : sans tenir compte du CV, « on ne juge que par l’habileté à exercer le métier », explique Frédéric Toubeau, directeur régional Auvergne Rhône-Alpes chez Pôle emploi. Et cela fonctionne : des entreprises comme Michelin, Airbus, Axa ou Hermès y ont recours, avec succès. Aujourd’hui, Pôle Emploi multiplie les initiatives pour recruter autrement : dernier exemple en date, le dispositif « Du stade vers l’emploi », qui s’appuie sur les valeurs du sport pour booster les recrutements, côté employeurs, et décrocher un contrat dans un cadre innovant pour les demandeurs d’emploi. L’idée est simple : entreprises et demandeurs d’emploi participent « incognito » à des épreuves sportives. Ces équipes mixtes recruteurs-candidats, où personne ne sait qui est qui, apprennent à se découvrir dans un contexte sportif et convivial. « Ces méthodes donnent des taux de mise en emploi supérieurs aux approches classiques », confirme Gaëtan Deffrennes, partenaire de l’opération via le réseau Randstad.

 

Comment séduire les talents ?

Une fois les talents identifiés, faut-il encore les séduire, les convaincre de rejoindre l’entreprise. Des efforts ont été consentis sur les salaires : ils ont leurs limites. « Nous sommes obligés de respecter un certain équilibre, pointe Johanna Berthier : attirer les talents, oui, mais il faut aussi retenir ceux que l’on a ! Or on ne peut pas indéfiniment monter les salaires… » En revanche, le champ de l’organisation du travail offre des marges de manœuvre intéressantes.

Troops, par exemple, qui recrute essentiellement des développeurs, a décidé de passer à 100% de télétravail : non seulement, c’est un souhait majoritaire des candidats dans le monde de la tech, mais « cela facilite le recrutement car le terrain de jeu n’est plus local : ça nous permet de capter davantage de profils. En particulier, les jeunes, qui ne veulent que du télétravail », explique Émilie Legoff. Seule obligation imposée par l’employeur : parler anglais et travailler aux horaires français, même si l’on vit à l’autre bout du monde.

Bien évidemment, le télétravail n’est pas possible dans tous les secteurs d’activité. Mais cela n’empêche pas la créativité. Dans le secteur de l’hôtellerie, de la restauration et des cafés, particulièrement confronté à une pénurie de main-d’œuvre depuis la crise sanitaire, les entreprises revoient les rythmes de travail de manière que les salariés puissent avoir leur week-end ou quelques soirées. « Ce sont les premières questions posées dans ce secteur d’activité, souligne Frédéric Toubeau. Les établissements s’organisent différemment pour attirer des candidats, faute de quoi, ils seront obligés de fermer ! » Autres exemples avancés par le directeur régional de Pôle Emploi : une entreprise lyonnaise d’électricité qui est passée à la semaine de 4,5 jours (un vrai plus pour attirer des profils) ou des employeurs qui s’adaptent à la situation individuelle des candidats, en aménageant par exemple le temps de travail une semaine sur deux pour permettre à un parent séparé de passer plus de temps avec ses enfants quand il en a la garde. Pour autant, si l’entreprise doit savoir se remettre en question et faire preuve de souplesse, elle peut aussi poser des limites, car les exigences des candidats, dans ce rapport de forces en leur faveur, sont parfois très élevées : « Nous avons eu des demandes dingues, du genre livraison illimitée de repas ou coach sportif à domicile », se rappelle Émilie Legoff, qui en sourit encore.

 

« On a changé de logiciel »

Bon salaire, organisation du travail permettant de concilier vie privée et vie professionnelle : ces deux critères sont devenus indispensables pour attirer les talents. Mais il faut aussi pouvoir les retenir dans l’entreprise : « C’est notre second enjeu », confirme Johanna Berthier. Pour cela, Visiativ s’attache à donner des perspectives de carrière à ses salariés : « Nous travaillons sur la mobilité professionnelle en accélérant sur la partie formation. » Émilie Legoff, elle, sait que ses collaborateurs – qui, pour la plupart, refusent tout CDI – quitteront l’entreprise au bout de deux à trois ans. Dans son domaine d’activité, et dans le monde des start-up, c’est le jeu : « Je ne lutte pas contre ça, ça me va bien ! »

Une chose est sûre : les cartes du recrutement sont rebattues. « On n’est pas passé à une nouvelle version de logiciel, on a changé de logiciel », résume Frédéric Toubeau. Aujourd’hui, les talents ont pris le pouvoir et c’est aux entreprises de savoir les convaincre de leur apporter leurs compétences. Pour un temps long, sans doute. Autant s’y préparer.

 

Recrutement : avantage au local

Selon une enquête de Pôle Emploi dans la région Auvergne Rhône-Alpes, 22% des demandeurs d’emploi refuseraient un emploi situé à plus de 15 km de leur domicile, et 33% à plus de 30 km. Par ailleurs, 21% des demandeurs d’emploi n’ont pas le permis de conduire. Ces chiffres montrent l’importance du travail à réaliser pour promouvoir la mobilité. Ils révèlent aussi, en creux, un levier de fidélisation pour les employeurs : recruter dans leur bassin d’emploi.

[1] Source : enquêtes annuelles Crédoc / Pôle Emploi.

 

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