À l’approche de 2026, les dirigeants évoluent dans un environnement professionnel en pleine mutation, bouleversé par l’instabilité géopolitique et économique, les changements démographiques, l’accélération technologique et la redéfinition des modes de travail.
L’intelligence artificielle a franchi un cap : elle n’est plus une simple expérimentation, elle est devenue incontournable. Face à une pénurie de talents qui demeure l’enjeu majeur du marché mondial, les entreprises doivent réinventer leurs méthodes pour attirer, former et fidéliser les collaborateurs garants de leur compétitivité.
L’avenir appartiendra aux leaders capables d’agir avec clarté et détermination — ceux qui sauront conjuguer technologie et dimension humaine, favoriser l’égalité des chances et aller chercher les compétences là où elles se trouvent réellement.
Voici, selon moi, les cinq tendances qui redéfiniront le monde du travail en 2026.
1. Non, l’IA ne provoquera pas de suppression massive d’emplois en 2026
À l’instar des précédentes révolutions technologiques, les craintes annonçant 2026 comme l’année d’un chômage de masse causé par l’IA se révéleront infondées.
Certes, le potentiel de cette technologie est indéniable : les études suggèrent que plus de la moitié des heures de travail actuelles pourraient théoriquement être automatisées. Toutefois, la réalité opérationnelle est tout autre.
Par ailleurs, la pression démographique s’impose comme un contrepoids économique majeur. Face au déclin de la population active dans les économies développées, l’IA ne se pose pas en concurrente des travailleurs, mais en levier de productivité indispensable pour pallier la pénurie de talents. En 2026, le débat ne doit donc plus porter sur la suppression de postes, mais sur la redéfinition des métiers.
Les dirigeants doivent réorienter leur stratégie IA, en passant d’une logique de réduction des coûts à une dynamique de gain de productivité. Plutôt que d’attendre que l’IA se substitue aux emplois, il est préférable de l’appliquer à l’automatisation des tâches à faible valeur ajoutée, souvent sources d’inefficacité et d’insatisfaction. Dans un marché du travail sous tension, la finalité consiste à utiliser l’IA pour démultiplier l’impact des équipes existantes, plutôt que de chercher à les réduire.Recommandation :
2. Allier savoir-être et maîtrise de l’IA : le nouveau standard de compétences
Ce qui rend les collaborateurs performants sont les qualités humaines impossibles à automatiser ou à imiter par l’IA, et dont la cote ne cesse de grimper. Selon l’étude “In-Demand skills” sur les compétences clés, publiée par Randstad Enterprise, le leadership se hisse désormais au premier rang des « soft skills » les plus prisées, suivi de près par la capacité à résoudre de problèmes et l’esprit critique.
Parallèlement, la résilience et la créativité s’avèrent être les compétences humaines les plus difficiles à trouver, avec des taux de vacance respectifs de 12% et 8,7%. Ces chiffres trahissent un fossé grandissant entre les exigences des entreprises et les compétences que les candidats déclarent posséder.
Le marché opère également une bascule stratégique : les « utilisateurs experts », ces professionnels capables d’appliquer l’IA à leur métier, sont désormais davantage recherchés que les « concepteurs d’IA ». Les rémunérations pour ces nouveaux profils hybrides poursuivent leur ascension, avec une hausse d’environ 10% en région EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique) et 2,5% aux États-Unis. Les entreprises privilégient de plus en plus ces talents augmentés : l’expert financier utilisant l’IA pour modéliser les risques, le responsable marketing exploitant l’IA générative ou le directeur des opérations automatisant ses processus.
Face à l’évolution rapide du monde du travail et à la redéfinition des tâches par l’IA, il est crucial pour les dirigeants d’investir sur les deux tableaux : offrir à l’ensemble des talents la confiance et les opportunités nécessaires pour adopter l’IA à grande échelle, tout en valorisant les qualités humaines indispensables pour garantir une croissance en harmonie avec la technologie. Recommandation :
3. Difficultés d’accès à l’emploi pour les juniors et prime à l’expérience
La dynamique de recrutement des talents est en pleine mutation. Dans les secteurs en plein essor comme l’IA et la data, la porte se referme pour les débutants. Alors qu’en 2023, environ 26% des postes liés à l’automatisation leur étaient ouverts, ce chiffre a chuté sous la barre des 17% aujourd’hui. Conséquence : la relève se raréfie précisément là où la croissance est la plus forte.
Parallèlement, les jeunes talents ne restent plus assez longtemps en poste pour assurer leur montée en compétences. La génération Z affiche une ancienneté médiane d’à peine 1,1 an sur ses cinq premières années d’activité, soit quatre fois moins que les Baby-Boomers. Si les Millennials et la Gen Z représentent respectivement 60% et 20% de la main-d’œuvre mondiale, le problème ne réside pas dans la démographie, mais dans la combinaison d’un accès restreint à l’emploi et d’un turnover accéléré.
Le phénomène frappe durement certains secteurs. La banque, les services financiers et l’assurance peinent à retenir leurs jeunes talents (taux de rétention de 22,5%), mais le constat est encore plus alarmant dans les Life Sciences, où ce taux plonge sous les 9%. Face à cette fuite des talents juniors, les entreprises s’orientent sur des profils expérimentés. Cette dépendance accrue aux profils seniors risque de creuser un déficit de compétences durable, à moins que les parcours de début de carrière ne soient reconstruits.
Il est urgent pour les dirigeants de repenser les parcours professionnels à leurs deux extrémités. D’une part, en réactivant l’embauche au niveau junior et en repensant le contenu de ces postes pour accélérer la montée en compétences interne. D’autre part, en mettant en place des stratégies pour valoriser et retenir les talents seniors, garants de l’expérience.Recommandation :
4. L’expertise technologique, clé de voûte de la transformation numérique
Si toutes les entreprises cherchent aujourd’hui à déployer l’IA à grande échelle, le frein n’est plus technologique mais humain. Les postes techniques seniors sont devenus les plus complexes à pourvoir, preuve du haut niveau d’expérience exigé pour mener ces transformations. Alors que le recrutement de juniors se fluidifie sur de nombreux marchés, la demande en spécialistes aguerris ne faiblit pas, creusant l’écart entre les besoins des organisations et l’offre actuelle de talents.
Le marché des talents a changé : les candidats sont plus ouverts au changement et à la réorientation. Cette volatilité est exacerbée pour les compétences rares. Le nombre de candidats en recherche active a bondi d’environ 16% ; les profils tech, y compris ceux issus d’autres métiers mais formés à l’IA, saisissent de nouvelles opportunités plus fréquemment.
Cependant, la mobilité varie fortement selon les pays. En Europe, 16% des talents expérimentés changent d’emploi chaque année, un chiffre qui grimpe à 20% pour les profils maîtrisant l’IA. En Italie, la dynamique est plus modérée : seuls 13% des seniors et 8% des experts IA changent de poste tous les ans. Et si des pays comme les Pays-Bas affichent une volatilité globale record, la mobilité des experts en IA y reste bien plus limitée. Ce phénomène de sédentarité est particulièrement marqué sur les marchés en forte pénurie, à l’image de l’Allemagne.
En 2026, l’enjeu pour les entreprises sera d’investir autant dans la constitution d’équipes résilientes maîtrisant les technologies, que dans les technologies elles-mêmes. Cela passera nécessairement par la montée en compétences (upskilling), la mobilité interne et une planification stratégique des effectifs.Recommandation :
5. Les métiers de terrain et les emplois qualifiés, piliers de la croissance économique
Si l’IA bouleverse les métiers du savoir, l’économie réelle repose toujours sur celles et ceux qui bâtissent, transportent et servent. Or, ces fonctions essentielles subissent des pénuries critiques. Le commerce et la vente directe enregistrent des taux de vacance records — 29% en France, 20% au Brésil et 19% en Espagne — conséquences d’un marché tendu, d’un fort turnover et d’une grande volatilité vers des secteurs voisins comme la logistique.
L’industrie manufacturière des marchés matures n’est pas épargnée. Aux Pays-Bas, par exemple, le taux de vacance atteint 12%, bien au-delà de la moyenne mondiale de 2,9%. Ce constat contraste fortement avec des pays comme l’Inde, où ce taux reste inférieur à 1%, révélant un vaste vivier de compétences qui pourrait inciter la production mondiale à se déplacer vers ces bassins de talents.
Certes, l’automatisation boostera la productivité, mais elle ne pourra jamais se substituer aux qualités humaines qui font l’essence des métiers de terrain : le jugement, la dextérité, la capacité à résoudre des problèmes et le lien relationnel. C’est précisément cette composante humaine qui crée leur valeur ajoutée.
La réalité démographique impose cependant une contrainte majeure : la demande croît aujourd’hui bien plus vite que la main-d’œuvre disponible. Entre le vieillissement de la population active et l’accélération des départs en retraite, l’économie perd ses experts plus vite que la relève ne peut les remplacer. C’est ici que la technologie et l’IA joueront un rôle décisif : en permettant aux équipes de terrain de faire « mieux avec moins », elles aideront les entreprises à maintenir leur niveau de service malgré la pénurie de candidats.
L’avenir appartiendra aux employeurs visionnaires qui choisiront d’investir massivement dans les métiers de première ligne et techniques. Cela impliquera d’améliorer les parcours de carrière, la sécurité et l’accès à la formation, tout en déployant des technologies capables de décupler l’impact des équipes. Face au départ massif des seniors, l’enjeu crucial pour maintenir la croissance sera d’équiper les « cols bleus » d’outils modernes et de solutions d’IA.Recommandation :
Tribune initialement publiée en anglais le 17 décembre 2025 dans la revue américaine Forbes.
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