le 16 novembre 2023
Alliés dans la diversité

En entreprise, la promotion de l’allyship – concept basé sur la recherche de la justice sociale et du respect des droits par des membres d’une organisation en faveur de groupes minoritaires ou marginalisés – se révèle pertinente pour lutter contre les stéréotypes et favoriser un environnement inclusif. Si ce concept est très présent dans le monde anglo-saxon, il demeure encore assez confidentiel en France. Peut-être plus pour très longtemps.

Mois des fiertés, drapeau arc-en-ciel sur son profil LinkedIn, réseaux internes communautaires, vidéos de sensibilisation aux discriminations… L’allyship en entreprise apporte une voix, un soutien, une visibilité aux minorités, afin de contribuer à un environnement de travail plus inclusif, où chacun puisse se sentir à sa place, quelle que soit sa différence.

 

De la société civile au monde de l’entreprise

La notion d’allyship a été popularisée aux États-Unis dans les années 1960, dans le cadre du mouvement des droits civiques, pour décrire l’activisme « allié » de militants blancs se battant pour les droits des Afro-Américains et de militants hommes se battant pour les droits des femmes. Plus récemment, deux événements majeurs ont remis ce concept sur le devant de la scène outre-Atlantique et jusque dans les entreprises : le mouvement #MeToo dans les années 2010 et la mort de George Floyd en 2020. « Un tel choc que nous nous sommes tous demandé : que pouvons-nous faire à notre niveau ? se souvient Carolyn Dateo, à l’époque Directrice de la Stratégie chez Publicis Group à New York. Nous avons eu besoin de faire une pause, de nous parler et de nous engager collectivement à rompre avec les préjugés et les biais de comportements qui perdurent dans le milieu professionnel. »

« Lorsque nous n’affrontons pas le problème, nous devenons le problème » Unstereotype Alliance

Trois ans plus tard, de nombreuses entreprises ont intégré l’allyship dans leur politique Diversité, Équité et Inclusion (DEI), proposant à leurs collaborateurs un changement de regard sur le monde qui les entoure. Car c’est un principe de responsabilité personnelle et d’action qui anime l’allyship : pour devenir un « allié », il faut d’abord prendre conscience de ses privilèges en tant que membre d’un groupe social dominant, par rapport à d’autres groupes sous-représentés ou traités de manière inéquitable, et refuser de fermer les yeux sur toute injustice, aussi mineure soit-elle. « Lorsque nous n’affrontons pas le problème, nous devenons le problème » : c’est le slogan des 3 clips de sensibilisation produits cette année par Unstereotype Alliance, mettant en scène des stéréotypes liés à l’origine ethnique, au genre et au handicap.

 

 

Chez Unilever, membre fondateur d’Unstereotype Alliance en 2017, l’allyship en interne prend par exemple la forme d’ERG (employee resources groups, groupes de ressources pour les employés) tels que « Enable Network » (personnes en situation de handicap) et « Proud Network » (personnes LGBTQI+). Leur raison d’être ? Promouvoir une meilleure compréhension et intégration de ces salariés et s’assurer qu’ils ont les mêmes droits que les autres. Cofondatrice de la cellule singapourienne du Proud Network en 2021, Séverine Vauleon, vice-présidente monde de la marque Lux chez Unilever, organise chaque année un mois d’activités variées : un coup de projecteur pour « célébrer et éduquer », explique-t-elle. Le thème de 2023 : Why should I care ? « L’objectif premier est d’amener une prise de conscience chez les personnes qui ne se sentent pas concernées, et qui auront peut-être envie, par la suite, de devenir des alliés. » Un bon moyen pour cela est de toucher les gens par le récit de situations personnelles : « Lors d’un atelier Human Library, ceux qui le souhaitaient ont pu témoigner « à livre ouvert », devant leurs collègues venus les consulter, de leur expérience, des problèmes auxquels ils ont pu être confrontés en raison de leur différence, ou de la raison pour laquelle ils sont devenus des alliés de la communauté LGBTQI+. »

 

Un chemin long et exigeant

« L’inclusion ne se vit pas à travers des stratégies et des feuilles de route, elle se vit dans nos interactions quotidiennes avec nos collègues : au cours du déjeuner, à la machine à café, pendant les réunions, etc., explique Poornima Luthra, professeure associée à la Copenhagen Business School et autrice de The Art of Active Allyship et Diversifying Diversity. Nous ne ferons pas bouger les choses si chacun d’entre nous ne se considère pas comme un acteur clé d’un environnement de travail inclusif, c’est-à-dire un environnement où chacun se sent valorisé, respecté, apprécié et éprouve un sentiment d’appartenance. »

« Être allié, c’est aider un individu à valoriser sa représentation de lui-même pour qu’il puisse pleinement exprimer tout son potentiel. »  Laurence Étienne, présidente Europe de l’Ouest de Mondelez International.

« Devenir un allié est un long chemin qui commence par une prise de recul sur soi-même, confirme Laurence Étienne, présidente Europe de l’Ouest de Mondelez International. En tant que dirigeante, j’ai longtemps invisibilisé le fait d’être une femme… parce que j’étais souvent la seule autour de la table. Aujourd’hui, j’ai accepté le fait que je peux représenter un modèle pour d’autres femmes et je l’assume. Les petites blagues sexistes, les clichés sur la maternité : ce n’est peut-être pas très grave mais la réalité, c’est que ça ne changera pas si on ne fait rien ! Et cela vaut pour tout groupe minoritaire en entreprise. Être allié, c’est aider un individu à valoriser sa représentation de lui-même pour qu’il puisse pleinement exprimer tout son potentiel. » 

 

 

C’est aussi contribuer à agir en profondeur, de proche en proche, sur son environnement professionnel : « Personnellement, je suis convaincue de la richesse de la diversité en entreprise. À force de discussions, de sensibilisations et de formations, par exemple aux biais cognitifs, j’ai vu des gens changer leur regard, devenir plus inclusifs puis transmettre à leur tour ces valeurs à leurs clients ou partenaires », témoigne Émilie Garnier-Vivien, directrice Santé, Diversité et Inclusion du groupe Pénélope, qui a également pu expérimenter le lien entre « l’attention sincère que l’on porte à une personne et sa fidélisation dans l’organisation ».

 

Comment développer l’allyship en entreprise ?

Si l’allyship est avant tout une prise de conscience et un engagement au niveau individuel, « l’entreprise peut elle-même s’incarner comme alliée, souligne Benjamin Pastorelli, docteur en psychologie et spécialiste des questions de diversité au travail, en condamnant clairement les actes discriminants, en modifiant son organisation pour la rendre plus inclusive, en formant ses salariés à ces thèmes, etc. »

De son côté, Poornima Luthra recommande 5 bonnes pratiques pour promouvoir l’allyship au sein d’une organisation :

Former à l’allyship et à ce qu’il implique.

 

 

 « Pour de nombreuses organisations, cela représente un véritable changement culturel », précise-t-elle.

 

 

Créer des ERG (Employee Resource Groups) – groupes de travail composés de collaborateurs – pour les minorités sous-représentées et leurs alliés, parrainés par les dirigeants, et leur donner les moyens de fonctionner. 

 

 

Mettre en place des programmes de parrainage et de mentorat / mentorat inversé.

 

 

Inclure le sujet de l’allyship dans les entretiens de performance.

 

 

 

On l’aura compris, l’allyship peut représenter un levier très efficace d’inclusion s’il se fonde sur un authentique engagement et une volonté humble de comprendre la complexité des phénomènes de discrimination : « Le simple fait de se dire allié ne doit pas nous dédouaner de notre responsabilité dans les discriminations : « je ne suis pas concerné, moi je suis allié », prévient Benjamin Pastorelli. Deux choses sont à noter ici. Premièrement, la notion d’allyship est un idéal. Autrement dit, personne n’est complètement ni parfaitement allié : il reste toujours du travail à accomplir. Deuxièmement, l’allyship se joue dans l’action, pas dans les mots : il ne suffit pas de se dire allié pour l’être. »