le 25 février 2020
L’emploi des séniors, angle mort de la réforme des retraites

Tribune initialement publiée dans Le Cercle Les Echos le 12 février 2020.

[Click here to read the english version]

L’allongement de la durée du travail est un sujet hautement inflammable. Pourtant, l’arithmétique est simple et derrière leurs postures de principes, les partenaires sociaux savent qu’il n’est plus possible de reculer. Nous vivons plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps. Mais encore faut-il le pouvoir.

Le débat s’est cristallisé autour de la question de l’âge pivot, occultant de fait le défi et vecteur de succès de la réforme : l’emploi des séniors. Les efforts des réformateurs devraient se concentrer en priorité sur l’accroissement du taux d’activité des aînés plutôt que sur le seul totem du recul de l’âge de départ à la retraite. L’équilibre du régime des retraites en dépend. Pour le maintenir à flot, il faut, certes, moins de bénéficiaires – C’est le sens du recul de l’âge de départ à la retraite – mais surtout plus de contributeurs, donc plus de séniors actifs. Au risque de céder à la lapalissade, le maintien en activité est l’arme la plus efficace contre le déficit.

Seulement un senior sur trois en emploi

Il est capital de ne pas reproduire les erreurs de 2010. Le relèvement du départ à la retraite à 62 ans s’est principalement traduit par un accroissement du non emploi (chômage, maladie, invalidité…). Force est de constater que notre pays ne sait pas intégrer ses séniors sur le marché du travail. Entre 60 et 64 ans, seuls 31%[1] de nos compatriotes occupent  un emploi, une exception culturelle française, dont nous ne pouvons nous enorgueillir.

Pour que l’équilibre de l’assurance retraite ne se traduise pas par un déséquilibre de l’assurance chômage, il faut bousculer nos perceptions sur les séniors pour leur ménager une véritable place dans l’économie. Le rapport Bellon, consacré au maintien dans l’emploi de séniors l’a bien compris et esquisse des premières pistes pour régler cette anomalie. Le principal frein à l’emploi des séniors est culturel. Dans le milieu professionnel, l’âge charrie son lot de fantasmes et de représentations erronées.

Ainsi trois managers sur quatre renâclent à considérer les candidats de plus de 55 ans lors d’une embauche[2]. Moins productifs, dépassés par les outils numériques et surtout trop chers, les « boomers » sont plombés par les stéréotypes. Moins productifs ? Aucune réalité statistique ne permet de l’affirmer. Dépassés par les outils numériques ? Correctement formés rien ne les distingue à l’usage des millenials, génération dorée de l’ère numérique.

Trois pistes à étudier

Trois pistes peuvent être explorées pour réconcilier séniorité et emploi. La modération salariale d’abord. La France est l’un des seuls pays où le salaire continue de croître de manière linéaire passé 50 ans. Cette « logique de l’honneur » doit cesser. Elle n’est que l’antichambre de la précarité et du chômage.

La montée en compétences ensuite. La formation est la clé de voute pour lutter contre l’exclusion du marché du travail. Pourtant, passé 50 ans, le taux de formation diminue drastiquement. Les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans sont presque trois fois moins nombreux à accéder à la formation. Le CPF semble, sur le papier, le levier le plus efficace pour corriger cette réalité. Il peut être facilement adapté pour jouer pleinement son rôle en faveur des aînés.

La modulation des charges patronales enfin. Pourquoi ne pas envisager d’activer ce levier, dont l’efficacité sur les embauches a été largement démontrée, pour discriminer positivement une catégorie d’âge. La perception des séniors en serait profondément changée. L’expérience l’emporterait sur le coût et les plus de 55 ans deviendraient ainsi une opportunité pour les entreprises. La concession aux finances de l’Etat serait, à n’en pas douter, nettement compensée par le prolongement de la vie professionnelle.

D’autant que la fin de carrière des salariés les plus proches de la retraite peut être une période de transmission et une formidable opportunité de fertilisation croisée entre les savoir-faire des « digital natives » et les savoir-être des « boomers » pour nourrir les compétences réciproques des générations.

Si le recul de l’âge de départ à la retraite semble incontournable au regard de la réalité démographique de notre pays, la réforme ne sera efficace qu’au regard des mécanismes de maintien dans l’emploi qu’elle aura su déployer. Sans ces deux approches combinées, notre contrat social ne tiendra ni la promesse d’un système de retraites équilibré, ni celle d’un emploi pour tous les Français.

François Béharel
President, Groupe Randstad France

[1] Eurostat 2018

[2] France Stratégie – Les séniors, l’emploi et la retraite – octobre 2018